À la découverte d’un poète arabe ; le plus licencieux de son époque, et qui, en se libérant suffisamment de la superstition obscurantiste a su exprimer ses désirs humains. Suivi d’une petite sélection, illustrée, de ses poèmes.

EXTRAIT



“Ô mes amis, puisse mon infortune vous servir de leçon !
N’offrez pas de festin de noce, car vite au chagrin le bonheur fera place.
Le mariage est une éternelle prison pour nos mésaventures.
Restez donc loin des femmes, et masturbez-vous !
Il n’est rien de meilleur ici-bas, après tout.”

Imaginaire n°583
lundi 18 décembre 2023
inspirée par
“Homosexualité et poésie arabe”
introduction d’un anonyme
et poésies d’Abû Nuwâs
 
La musique adoucit les mœurs... en tout lieu.
 
DU BOUT DES LÈVRES
 
Il y avait un homme sur un âne. Cet homme était un pauvre poète ; il se nommait Soulwan Ibn Wahid.
Saladin, à cette époque, régnait sagement sur Jérusalem, sa chevalerie était honorée jusqu’en occident.
Soulwan, lui, n’avait cure des affaires de l’État, des controverses religieuses, mais il se félicitait en lui-même d’être né à une époque de grande culture, où la science, l’art et la pensée musulmane était un phare pour les humains de bonne volonté.
Nous étions en 584 (1188 de l’ère chrétienne), le samedi 22 du mois de l’Hégire Rabi’ou Al-Awwal, quelques mois après la prise de Jérualem par le Grand Saladin. Le temps était fort beau.
— Holà paysan, connais-tu la route d’Al Qods ?[1] l’interpelle un voyageur en arme.
Bien que surpris qu’on le prit pour un paysan, il ne trouvait pas que cela soit désobligeant... il sourit.
— Et qu’y cherches-tu, aventurier ?
L’autre, lui, n’aimât guère qu’on le confonde avec l’un de ces vauriens, un gibet de potence.
— Je ne suis pas “aventurier”, manant, je suis George de Folk, et je dois me rendre auprès du Sultan.
— Saladin ?
— Tu en connais un autre ? rit-il à rompre pourpoint.
Soulwan l’accompagna d’un rire franc et joyeux.
— Veux-tu que je t’y guide... George de Folk ?
Il trouva la proposition de l’homme, qu’il trouvait à tout prendre, de belle face et bonne tournure d’esprit, d’un intérêt certain. Il aurait au moins un compagnon de route avec qui parler, même chevauchant un bourricot.
— À dieu va, compagnon ! Nous irons de concert.
C’est à ce moment-là que Soulwan s’aperçut que ce chevalier à l’allure poussiéreuse traînait derrière lui un autre cheval sur lequel était attaché et bâillonné un jeune homme d’une vingtaine d’années à peine.
— Pardonne ma curiosité, voyageur, mais pourquoi celui-ci est ainsi entravé à se mouvoir et à parler ?
Les yeux de George s’embrunirent.
— Oh celui-là... c’est Ouadih, n’y prête attention, il n’a pas d’intérêt pour toi.
Sentant quelque histoire mystérieuse, le poète se tut, mais il remarqua les yeux pleins de larmes du jeune homme.
En silence, l’équipage prit la route de la ville sainte.

***

Dans la nuit du désert, deux tentes abritèrent chacune leurs occupants. Soulwan fut surpris que le jeune Ouadih partagea celle de George de Folk, qui se comportait avec lui différemment d’un maître envers un serviteur. Cela l’amusât plus que ça ne le choqua. “Après tout, dieu n’est-il pas “amour”, et qu’importe avec qui”, se disait-il, saisi d’être presque jaloux de ne pas partager lui aussi ce jouvenceau.
Il fut réveillé en pleine nuit. On jouait de la musique. Tout d’abord il ne voulut pas s’y intéresser tant il était fourbu du chemin. Mais il ne put résister à sa curiosité.
Il se leva, très silencieusement, et doucement, restant dans l’ombre, à l’abri des rayons de Lune, il s’approcha de la tente de ses compagnons.
Ce qu’il vit l’émut au plus profond de son âme.
Dans cette grande tente éclairée par l’astre nocturne, le jeune Ouadih, jouant de la flûte, assit nu devant l’autre, les jambes écartées, et le sexe dans la bouche de George.
Pétrifié par ce charmant tableau, ne pouvant détourner les yeux de ce spectacle, il resta là de longues minutes.
C’est alors qu’il entendit la voix de Ouadih. Un filet de voix si doux, si harmonieux, si... féminin. Il saisit alors la triste raison du bâillon sur cette si jolie bouche aux lèvres enivrantes, caressant de leurs chairs le bout de l’instrument de musique en roseau alors que ses doigts graciles couraient sur la hampe creuse. Que cette voix était divine, qui lui offrait cette charmante mélopée.
Il revint alors à sa couche. Il essaya de se rendormir, mais l’image de Ouadih l’empêchait de sombrer. Il comprit qu’il était tout à plein jaloux de ne pouvoir partager ce jeune homme et de lui rendre un tendre hommage.
Il attendit qu’ils fussent endormis. Il rangea ses affaires et les quitta, préférant les laisser seuls et lui s’échapper des affres de l’envie.
Plus tard, il écrivit sur parchemin le souvenir qu’il gardait de ce moment-là :
 
“Je meurs d’amour pour lui, en tout point accompli
Et qui se perd en entendant de la musique.
Mes yeux ne quittent pas son aimable physique,
Sans que je m’émerveille à le voir si joli.
Sa taille est un roseau, sa face est une lune
Et de sa joue en feu ruisselle la beauté.”

[1] Jérusalem, “la sainte” en arabe.