Imaginaire n°573
vendredi 24 novembre 2023
inspirée par
“Eugène Pottier,
un défenseur du prolétariat”
d’Ernest Museux
La défense du prolétariat, une blague ?
LE TEMPS D'UNE FICTION
Troisième empire, 2 décembre 2027.
Versailles
— On claque un pognon de dingue, et certains n’arrêtent pas de m’appeler sur mon zéro-six ! Comment faire, très chère Brigitte ?
— Le mieux, chouchou, ce serait, après un beau discours... tu es si exceptionnel en cet art de la rhétorique... de proposer un “Grenelle du Travail”.
— ...“Travail” ? Le mot est dévalué en ce moment... je pencherais plutôt pour... je ne sais... “Grenelle de l’Employabilité”.
— Votre majesté...
— Oui Bernard... pourquoi me déranges-tu en mon conseil ?
— C’est que... la foule, dehors, est de plus en plus échaudée.
— On ne lui a pas diffusé mon dernier discours lors de ce fabuleux banquet ?
Bernard Cassenœuf, Grand Chambellan du Trône, semble ennuyé.
— C’est-à-dire que vos conseillers en image ont pensé que l’aréopage de ces hauts personnages de la high-tech et le baisemain que fit Elon à notre impératrice fut assez mal perçu.
— Les gens du peuple, décidément, n’ont aucun savoir-vivre ! Quelquefois, cela m’ébaubit, mais m’attriste aussi.
— Vous êtes bon, mon très cher époux.
Brigitte prend la main d’Emmanuel Ier et la lui tapote affectueusement.
— Je sais, je sais, ma bonté est immense, et j’en suis la première victime.
L’Empereur laisse échapper une larme.
— Le lacrymatoire ! crie Brigitte.
Aussitôt, un homme, courbé comme il se doit devant Sa Majesté, accourt.
— Mon bon Anuel... merci.
Brigitte, délicatement, recueil dans le petit récipient la goutte majestueuse.
— Pardonnez mon impertinence, mais pourquoi l’appeler ainsi... : “Anuel” ?
L’Empereur a un sourire aimable.
— Parce que cet ancien ministre d’un de mes prédécesseurs, lorsque nous étions encore sous le régime désuet, avait un prénom qui ressemblait fort au mien... Manuel ! Pensez-donc ! Que ne jaserait la populace.
— Fort judicieux, Votre Majesté, répond très obséquieusement Bernard.
— Mais il ne passera pas l’année ! rit Brigitte... toute seule.
Les deux autres la regardent assez interloqués.
— Plaît-il ?
— Chouchou... “Anuel”... “Année”.
Le visage de Sa majesté rayonne.
— Oooh comme cela est divertissant, ma douce.
— Gondolant... Votre majesté, vous excellez dans la facétie.
— Mon épouse, vous me distrayez bien de ma triste condition.
Une pierre éclate un carreau de la Salle du Trône et vient rouler à proximité du couple impérial.
— Qu’est cela ? Une protestation ?
— Il semblerait que ce soit pire, Votre Majesté.
— Oh ? Un trouble ?
L’Empereur regarde son Grand chambellan, d’un air effaré.
— Pire...
— Je n’ose prononcer le vocable... sera-ce une insurrection ?
— J’ai bien peur que le terme soit en dessous de la réalité.
— Mordious ! Ne me dites pas que c’est là une émeute !
— Chouchou... fais attention a ton cœur, si bienveillant à l’égard de ces ruffians.
— Non, non, il faut que je comprenne. Alors, Bernard... dites-moi tout, révélez-moi la vérité.
Bernard Cassenœuf, assez gêné semble-t-il, se racle la gorge.
— Ahem... une “révolution”, Votre Majesté.
Emmanuel s’adosse au trône, las, paume sur le front.
— Quel désarroi ! Moi qui suis le plus grand défenseur des travailleurs. Quelle déconvenue.
— Je vais de ce pas haranguer la bonne foule, afin de leur délivrer mon message d’espoir.
...Quelqu’un coupe la parole aux acteurs sur la scène.
— C’est n’importe quoi cette pièce, mon ami. Jamais ne la programmerais.
— Mais pourquoi donc ?
— Parce que Sa Majesté Louis xvi n’aime pas la fiction. Une révolution ! Diantre ! Et pourquoi pas une République ?